• Younès BENKIRANE nait au Maroc en 1958.
    Il est le 4ème d'une fratrie de neuf, issus de deux familles aisées aux solides valeurs d'intégrité, de respect d'autrui, de discrétion et de solidarité.
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  • Leur mère est une grande romantique, chantant à longueur de journée pour ses enfants, pour elle-même, pour le plaisir de la compagnie et du partage. La joie, le sourire d'un enfant, le parfum d'une poignée de fleurs de jasmin ou une balade en voiture ou à travers les champs, font naître des merles en sa gorge, irradiantes et suffisantes raisons pour remercier la vie et la célébrer. Etrangement, une peine, une contrariété, un moment de solitude ou de mélancolie l'inspirent également : des airs en adéquation avec son état d'âme lui viennent avec une facilité troublante, faisant naître rossignols, arabesques et perles de vie, réalimentant son âme et ravivant son coeur. Sa façon à elle de remercier en toutes circonstances la vie.
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  • L'ensemble de la fratrie hérite de cet état d'âme. De l'amour de la musique. De romantisme et de contentement.
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  • Son frère aîné hérite également d'une voix belle et délicate. Ses trémolos subtils et pleins de grâce rappellent à la fois Sam Cooke et Mohamed Abdelwahab. S'accompagnant à la guitare, il nous fait partager, à la manière de notre mère, des heures de bonheur, en compagnie de nos amis respectifs.
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  • C'est dans ce contexte et cet environnement favorable que l'auteur grandit à la musique et naît à la guitare. Imitant en cela Dylan, Neil Young et tant d'autres, Younes Benkirane se met ensuite à l'harmonica, idéal pour s'auto-accompagner au chant et à la guitare. Il s'initiera également au oud (luth arabe), puis au piano.
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  • Il compose dès son adolescence des chansons en anglais (afin de mieux masquer l'innocence et l'ingénuité de ses textes) puis peu à peu en français. Plus tard en arabe.
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  • La musique, la chanson.
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    Nous avons été initiés à la musique, et plus particulière-ment à la chanson, par des animateurs de talent qui auront marqué notre enfance et notre adolescence : Mekki Britel, Alifi Hafed, Bhiri, Ali Hassan
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  • Dès 7h du matin nous prenions nos petits déjeuners et préparions nos cartables accompagnés de leurs voix et d’un choix de chansons judicieux qui nous mettaient d'entrain.
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  • Ils auraient pu nous alimenter exclusivement de chanson-nettes faciles : mais il y avait chez eux, indéniablement, de l’exigence, du goût, de l’amour de la musique noble. Aux Gérard Lenorman, Dalida, Joe Dassin ou Françoise Hardy, succédaient Brel, Moustaki, Piaf, Aznavour… Côté anglo-saxon venaient succéder aux tubes d’une saison : des perles de soul music, des folk-songs, des rythmes afro-cubains… Aux Stones, Beatles, Dylan ou Baez, étaient enchaînés des titres de production locale talentueuse : Vigon, Golden Hands, les Frères Megri...
  • Notre génération a bénéficié grâce à ces animateurs radio d'une éducation musicale éclectique, bigarrée, généreuse, ouverte sur le monde.

     

     

    Il y avait alors 3 chaines de radio locales : une arabe, une française (que je viens d’exposer en partie) et une berbère. La FM n’existait pas encore : nous butinions entre les fréquences en MW. Aussi en LW, où la captation des stations était souvent de meilleure qualité : sans friture. Nous y avions notamment accès à RTL et France Inter. Je suppose que, comme moi, la jeunesse marocaine d’alors zappait entre ces trois radios. Sur celle de langue arabe nous voguions à travers un foisonnement de styles musicaux : chanson marocaine, chanson orientale, musique andalouse, chants berbères, antiennes populaires… toutes aussi riches et diversifiées les unes que les autres. De El Bidaoui à Brahim Alami en passant par Ismail Ahmed ou Abdelouhab Doukkali ; de la Nouba aux Tawachis et de Abdelkrim Raïs à Toulali, en passant par Chekkara ou le Madh nabawi ; dOum Kalthoum à Nazim El Ghazali, passant par une variété de styles spécifiques : Mohamed Abdelwahab, Asmahan, Wadie Essafi, Sabah Fakhri...
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    De Houcine Slaoui à Chikha El Hamdawiya. De Hamid Zahir à Qechbal et Zeroual... 
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  • Je m’imprégnais de rythmes et de sonorités berbères sans en comprendre, pour ma part et malheureusement, la langue. Une fois au lit les nuits s'annonçaient longues. Surtout celles du mois de Ramadan, après le s'hor (repas d’avant jeûne, vers les 4h du matin). J’entamais alors un minutieux et long voyage entre les ondes hyper emboîtées de la SW, J'y découvrais des langues nombreuses, une telle variété de styles musicaux et de cultures que j’en avais presque le vertige.
     
  • Toulouse.

     

     

    Bac en poche, les études supérieures démarrent à Toulouse.
  • Le monde s'ouvre à moi.
  • Avec la fac et les cours en amphi, je découvre les bibliothèques, le cinéma d'art et essai, le resto U, la liberté. Je découvre la diversité culturelle, mais aussi la solitude et l'exil. De même, les manifs et les lacrymos ainsi que la mobilisation pour des idéaux. Marx et Lénine sont partout. Sartre, féminisme, lutte contre l'impérialisme, Larzac... C'est le début des années militantes.
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  • Côté musical c'est la découverte de la chanson contestataire : Victor Jara, Pete Seeger, Marcel Khalifé, Cheikh Imam, Woody Guthrie, Mouloudji, Nass El Ghiwan, Montand... Au cinéma Saint Agne je découvre les films d'Ettore Scola, Fellini, Schlöndorf, Visconti, Gavras, Scorsese, Woody Allen, Coppola...
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  • Dans les allées de la fac -Rangueil, Mirail, Capitole-, à l'entrée des résidences universitaires, resto U, Cité Internationale à Paris, l'on est accueillis par chants et spectacles contestataires, banderoles, tracts, panneaux contre la guerre au Vietnam, contre l'apartheid, pour la libération des prisonniers politiques au Maroc. Les échanges sont parfois houleux. Les "débats" battent leur plein. Foison de concepts et de luttes pour des idées, foison de syndicats étudiants, amitiés partisanes, découverte de la réalité internationale et bouillonnement de la pensée...
  • Une initiation à la pensée responsable, par soi. Et contre soi.
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  • Ces années universitaires constituent une phase déterminante dans mon parcours et dans celui de la jeunesse d'alors. S'y noueront des amitiés dont nombre resteront à ce jour essentielles. Trois d'entre elles seront déterminantes dans mes univers musicaux :
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  • - Avec Majo, étudiant sénégalais et serveur à la buvette de la rue des Lois, je découvre ce qu'est la musique afro-cubaine. J'en ai toujours aimé le rythme, les sonorités, l'instrumentation, la langue. Mais je n'y connais rien. Majo me fait découvrir Celia Cruz, Willie Colon, Johnny Pacheco, Victor Jara... Je suis fier de son amitié et de sa confiance : car il me confie ses K7 afin que je puisse les dupliquer chez moi. L'univers entraînant de la musique afro-cubaine m'est plus familier ;
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  • - avec Mokhtar je découvre le blues, la soul, le Rythm & Blues, les Chikhates, la diversité du folk marocain. Sa bibliothèque de vinyls est impressionnante, précieuse et fouillée, les 33 tours méticuleusement rangés par genre musical. Mokhtar est un vrai passionné. Il aime fouiller jusque dans l'histoire d'une chanson, le parcours d'un auteur, d'un style. J'ai la chance de bénéficier également de son amitié et sa confiance : il me confie les clés de son appartement et l'accès à son trésor musical. Les heures défilent, épuisantes mais savoureuses, à écouter et me délecter de musiques que tantôt je découvre pour la 1ère fois, ou que je connais déjà mais vais pouvoir me réapproprier. J'ai acheté par dizaines des K7 vierges et j'enregistre, j'enregistre, encore et encore. Taj Mahal, Ry Cooder, John Hyatt, Tom Waits, Sister Rosetta Tharpe, Sam Cooke et tant d'autres... Impossible, aujourd'hui encore, quarante ans plus tard, d'écouter nombre de morceaux sans que surgissent les souvenirs d'alors et ma reconnaissance ;
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  • - Et puis il y a Hamid. Avec lui c'est Sabah Fakhri, Leyla Mourad, la musique andalouse, Paolo Conte... Hamid joue du bandjo dans une troupe, avec Aman. Et du oud. Sa bienveillance est exceptionnelle.
 
Je ne puis donc parler  musique sans penser à eux: Majo, Mokh, Hamid, Claude, Amine, Axel, Bba Settof...
 
...Mais avant tout 2 personnes que j'ai admirées pour la beauté de leur voix et la force de leur sensibilité :

 

- ma mère en premier lieu : elle était un rossignol chantant qu'il fasse joie en son âme ou tristesse en son coeur. Tout était prétexte à chanter: lors d'une balade en voiture ou à l'occasion d'un feu de camp ; animer une soirée avec ses enfants et leurs amis. Elle était à elle seule une animation de colonie de vacances.
S'il advenait que, plusieurs jours durant, sa gorge n'émit aucun chant, alors nous dévinions que quelque chose la préoccupait, alimentant sa peine, et que nous devions nous préoccuper à notre tour de sa joie et de son bien-être ;

 

- mon frère enfin, deuxième de notre fratrie de neuf, dont la voix, aussi mélodieuse et sensible que celle de notre mère, me fait penser tantôt à Sam Cooke, tantôt à Derheme du groupe Jil Jilala dans "Jlatni Ryahek", qu'il interprétait selon moi presque mieux que l'original. Il s'était mis à la guitare dès l'adolescence. C'est ainsi que je me mis à mon tour à cet instrument.
 
Ils m'ont transmis tous deux l'amour non seulement de la musique, mais aussi et surtout celui du chant. Ainsi que la sensibilité qui va avec. Je leurs en suis reconnaissant. Je me sens envers eux redevable.